En 2022, l’association Douar Nevez (Morbihan) publiait le guide « Parents dans un monde d’écrans », largement consulté sur le site de la Fédération Addiction. Pour approfondir cette thématique, Laurent Pommereuil, co-auteur et coordinateur CJC, a été interviewé.
Arrivé à Douar Nevez en 2007 pour travailler sur la prévention des usages de substances, Laurent Pommereuil a été progressivement sollicité, dès 2008-2009, sur la question des écrans, alors peu abordée en Bretagne. L’équipe s’est formée et a développé des outils spécifiques.
Qu’est-ce qui fait un usage problématique des écrans ?
Douar Nevez, spécialisée en addictologie (CSAPA et CAARUD), n’aborde pas les écrans sous l’angle de l’« addiction ». L’équipe distingue plutôt usage à risque (ex. : arnaque, virus) et usage excessif, défini par ses conséquences négatives (sommeil, scolarité, relations).
Même si les écrans activent les circuits du plaisir, comme le souligne l’Académie de médecine, les professionnels de Douar Nevez insistent sur la différence avec les addictions aux substances. Parler d’addiction risquerait de médicaliser l’adolescence, qui est déjà une période d’intensité et d’excès, et de mettre à distance la parole des parents.
Est ce qu’il y a une augmentation des consultations, des sollicitations sur ce sujet-là ces dernières années ?
Les usages excessifs des écrans sont aujourd’hui mieux repérés et mieux pris en charge, notamment grâce au soutien renforcé de l’ARS aux CJC et à une meilleure formation des professionnels (éducation spécialisée, Éducation nationale). On reçoit donc plus de jeunes en lien avec ces problématiques, mais il est difficile de dire si le phénomène a réellement augmenté ou s’il est simplement mieux identifié.
Concernant les réseaux sociaux, les problématiques actuelles (harcèlement, usage excessif) étaient déjà présentes il y a 10 ans, mais elles sont plus visibles aujourd’hui, en partie à cause de cas médiatisés.
Certaines campagnes de prévention semblent efficaces : les enfants sont moins nombreux à avoir une télé dans leur chambre qu’il y a 15 ans, et les parents sont davantage sensibilisés à retarder l’âge du premier téléphone portable.
Diriez-vous que la consommation d’écran d’un jeune doit amener son entourage à se questionner sur l’usage qui en est fait, et pourquoi ?
Les écrans offrent une richesse culturelle, ludique et informative, mais nécessitent un accompagnement dès le plus jeune âge.
Lors des conférences, peu de parents disent jouer aux jeux vidéo avec leurs enfants. Pourtant, l’essentiel est de s’intéresser à leurs usages, de partager, de poser des questions, et de rester curieux.
Le guide Parents dans un monde d’écrans invite à adopter une posture d’écoute active et de dialogue : prendre un moment pour jouer à Mario Kart, regarder une vidéo sur TikTok, non pas pour aimer, mais pour comprendre ce que l’enfant y trouve — et ainsi mieux prévenir les risques.
Comment voyez-vous évoluer la prévention face aux problématiques d’écrans ?
On parle souvent des jeunes, mais les adultes aussi manquent de repères face aux écrans. La circulation de fausses informations ou les arnaques en ligne ne viennent pas que des adolescents — ils ne sont pas les plus vulnérables.
Une éducation aux médias est donc nécessaire pour tous les publics, pas seulement les jeunes.
À l’avenir, il serait utile de sensibiliser parents et jeunes aux enjeux liés à l’intelligence artificielle, pour anticiper les usages et réfléchir à leur place dans nos quotidiens. Le sujet évolue vite et mérite un accompagnement précoce.
Pouvez-vous nous en dire plus sur vos interventions en classe ?
Chaque année, le service de prévention de Douar Nevez intervient auprès d’environ 1500 élèves, notamment via le dispositif « Santé et Citoyenneté » du Conseil départemental du Morbihan. Ce livret pédagogique recense des actions de prévention finançables, mobilisées par les établissements scolaires.
Et en CJC, comment se passe l’orientation et la prise en charge ?
Les demandes de consultation en CJC peuvent venir des parents, du jeune lui-même, ou plus souvent encore d’adultes relais (infirmières scolaires, CPE, enseignants, animateurs), rencontrés lors des actions de prévention.
Dans les cas d’usage excessif des écrans, le problème n’est souvent pas l’écran, mais un mal-être plus profond (difficultés scolaires, familiales, harcèlement). Les écrans deviennent alors un refuge, un moyen de fuir un réel pesant. Une fois cette souffrance identifiée, l’écran n’apparaît plus comme un trouble, mais comme une réponse trouvée par le jeune.
Source : Fédération Addiction