María Hernández-Mora Ruiz del Castillo, docteure en psychologie et clinicienne spécialisée dans l’addiction sexuelle et à la pornographie, partage son activité entre le CSAPA Imagine (Hôpital Simone-Veil), où elle a lancé une consultation dédiée, et le CEFRAAP, centre de ressources et de soutien pour les usagers et les professionnels. Elle revient ici sur les enjeux du diagnostic et de l’accompagnement de cette addiction.
Comment définir l’addiction à la pornographie ?
L’addiction à la pornographie reste un trouble débattu dans la littérature. La CIM-11 reconnaît un « trouble du comportement sexuel compulsif » dans les troubles du contrôle des impulsions, mais il n’existe pas de critères spécifiques pour l’usage compulsif de pornographie, contrairement aux jeux vidéo ou d’argent.
Cette absence de cadre diagnostique complique la détection du trouble par les professionnels, et peut laisser croire qu’il n’existe pas. Résultat : peu de prévention ciblée, peu de prises en charge spécialisées. Les personnes concernées restent isolées, mal informées, alors même que ce trouble fait l’objet de recherches approfondies.
Est-ce que les personnes concernées ont un profil particulier ?
L’addiction à la pornographie peut concerner tout le monde, sans distinction d’âge, de genre ou de milieu. On la rencontre chez des adolescents comme chez des adultes, hommes et femmes — avec une prévalence plus marquée chez les hommes. Aucun profil type ne se dégage, et aucun facteur psychosocial n’apparaît comme réellement protecteur.
Quels sont les symptômes et les impacts sur la santé des usagers ?
L’addiction à la pornographie se manifeste par une perte de contrôle, une accoutumance (quantité, intensité) et un besoin croissant de contenus, parfois choquants. Elle entraîne troubles psychiques (anxiété, dépression, impulsivité) et sexuels (ex. : dysfonction érectile), avec un craving intense et des symptômes de manque.
Les études récentes révèlent des altérations cérébrales comparables à celles observées dans les addictions au jeu ou à la cocaïne. Les personnes concernées se reconnaissent souvent comme « addictes » et se tournent vers l’addictologie.
Et justement, il y a une prise en charge possible aujourd’hui pour ces personnes ?
Les personnes qui consultent pour une addiction à la pornographie le font souvent après 10 ans de consommation problématique, débutée dès l’enfance ou l’adolescence. Elles viennent quand les impacts deviennent majeurs : difficultés sexuelles, souffrance conjugale, honte, culpabilité, dépression…
Beaucoup ont tenté de s’en sortir seules ou ont consulté des professionnels non formés, se heurtant à une absence de prise en charge adaptée. Soit leur demande est renvoyée vers l’addictologie, où peu de structures affichent une offre dédiée, soit elle est minimisée. Résultat : l’addiction progresse souvent en silence pendant des années.
Quel accompagnement proposez-vous pour ces personnes ?
L’addiction à la pornographie est une addiction de la solitude, marquée par l’isolement, le secret et un profond dégoût de soi. Elle altère le rapport à la sexualité, à soi et aux autres.
L’accompagnement combine groupes de parole (soutien ou parcours thérapeutique en 6 séances) et suivi individuel. Ce dernier repose d’abord sur des outils comportementaux (TCC, pleine conscience…) pour réguler les émotions sans recourir à la pornographie, puis sur un travail plus profond : estime de soi, attachement, trauma, reconstruction affective.
Est-ce qu’il y a une notion de réduction des risques dans l’addiction à la pornographie, comme on peut l’avoir avec les addictions aux substances ?
Il n’existe pas à ce jour de modèle de réduction des risques pour l’addiction à la pornographie. On peut faire de la prévention (alerte, signaux d’alarme), mais chez les patients avec une addiction installée, 100 % demandent une abstinence totale. Tous rapportent qu’un usage régulé est impossible, et non souhaité. Cependant, l’objectif est de les accompagner vers une sexualité épanouie.
Et pour la prévention ? Comment prévenir l’addiction au porno ?
Il faut d’abord reconnaître la pornographie comme un produit à risque. Ensuite, agir sur la prévention : former les parents, intervenir à l’école, protéger les mineurs par des blocages efficaces. L’usage précoce est un facteur de risque majeur.
Il serait aussi utile de lancer des campagnes nationales d’information, comme cela a été fait pour les jeux d’argent, pour aider à repérer les signes de dépendance (ex. : envahissement par des images sexuelles).
Enfin, une vraie éducation à la sexualité est nécessaire, chez les jeunes comme chez les adultes, en proposant des modèles positifs fondés sur le respect, la confiance et la connaissance de soi et de l’autre.
Quelles sont les ressources pour les professionnels qui souhaiteraient se former ?
Il existe désormais des formations, comme celle proposée par la Fédération Addiction (prochaine session en septembre 2026), pour aider les professionnels à repérer et prendre en charge l’addiction à la pornographie chez les adolescents et les adultes.
Le site du CEFRAAP (www.assodeclic.com) proposera bientôt des ressources scientifiques et cliniques. Par ailleurs, le réseau CAPS (Cliniciens de l’Addiction Pornographique et Sexuelle), que je coordonne depuis l’hôpital Marmottan, réunit plus de 60 CSAPA. Ouvert à tous les professionnels de l’addictologie, il organise des rencontres trimestrielles en visio ou en présentiel.
Source : Fédération Addiction