Dégradation de leur état psychologique, prise en charge trop tardive, meilleur repérage des troubles ou génération qui se tourne plus facilement vers le soin… De nombreuses pistes sont avancées pour expliquer cette évolution jugée « préoccupante » par l’Assurance-maladie.
Les professionnels de santé alertent régulièrement sur la santé mentale des jeunes. Cette fois, c’est l’Assurance-maladie qui signale une hausse des prescriptions de psychotropes chez les 12-25 ans entre 2019 et 2023.
Le terme « psychotropes » regroupe divers traitements – antidépresseurs, anxiolytiques, antipsychotiques… Bien que ces prescriptions aient des raisons variées, les médecins s’accordent à dire que la tendance est « préoccupante ».
En 2023, près de 936 000 jeunes ont été remboursés pour un psychotrope, soit une augmentation de 5 % par rapport à 2022 et de 18 % par rapport à 2019.
« Les maux de la société ont changé »
La hausse des prescriptions varie selon les types de médicaments. On observe une augmentation de 60 % des jeunes sous antidépresseurs, 38 % sous antipsychotiques (notamment pour la schizophrénie ou la bipolarité), et 8 % sous anxiolytiques, cette dernière étant exclusivement liée à des jeunes filles.
Ces chiffres reflètent avant tout la détérioration de la santé mentale des jeunes. Pauline Chaste, pédopsychiatre à l’hôpital Necker-Enfants malades, explique : « Face à l’augmentation massive des urgences, il est crucial de calmer rapidement les angoisses. » Elle rejette ainsi la critique visant les médecins accusés de prescrire trop facilement : « Nous avons traversé une crise majeure avec le Covid-19, et elle perdure. Il faut y répondre. »
En plus du constat général, d’autres raisons expliquent l’augmentation des prescriptions. Détectons-nous mieux les troubles mentaux qu’auparavant ? C’est une piste, notamment pour les diagnostics retardés de bipolarité et de schizophrénie. De plus, les antipsychotiques sont parfois prescrits à des jeunes sans ces troubles, mais présentant des comportements impulsifs ou suicidaires, nécessitant une prise en charge rapide.
« De plus en plus de jeunes cherchent à se soigner, observe Charline Magnin, psychiatre. La nouvelle génération parle plus facilement de ses problèmes et demande de l’aide. » Elle précise : « La société évolue, tout comme les troubles : on ne traite plus seulement la dépression, mais aussi l’anxiété, les phobies scolaires, les TOC, le stress post-traumatique, et on tente de répondre à chacun. »
Une explication plus inquiétante est celle des prises en charge tardives, dues à un système saturé. « Si l’accès aux psychiatres était plus facile, il y aurait probablement moins de prescriptions », observe Charline Magnin. « Les généralistes, souvent seuls en première ligne, font face à des difficultés pour orienter vers des spécialistes. »
Question sensible
La forte augmentation des antidépresseurs (+60 %) soulève des questions. La Haute Autorité de santé recommande de privilégier les psychothérapies en premier recours, les antidépresseurs n’étant justifiés qu’en cas d’échec ou de dépression sévère.
Les médecins restent également vigilants sur les anxiolytiques. « Leur usage est rarement justifié chez les jeunes, et les risques de dépendance sont bien connus », souligne Antoine Pelissolo, psychiatre à l’hôpital Henri-Mondor.
La question délicate des prescriptions inappropriées, notamment par des non-psychiatres, est soulevée. « Prescrire n’est jamais une décision rapide ou simple, » affirme Jean-François Pujol, pédiatre en Gironde et membre du Syndicat des pédiatres libéraux. « On ne peut pas laisser un adolescent en détresse, qui ne dort pas, sans traitement. Ni un enfant agressif et en souffrance, sans solution thérapeutique. Parfois, on se résout à prescrire un sédatif ou un neuroleptique en attendant un rendez-vous qui peut prendre des semaines ou des mois. »
À 63 ans, il précise s’être formé tout au long de sa carrière sur ces médicaments : « Nous ne sommes pas des psychiatres, mais nous avons appris à mieux prescrire qu’avant.
Un débat distinct et récurrent concerne les psychostimulants, principalement prescrits pour les troubles de l’attention avec hyperactivité. Dans un rapport de mars 2023, le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge avait pointé la hausse des prescriptions, jugée trop « alarmiste » par les psychiatres. L’Assurance-maladie note que cette augmentation, particulièrement marquée depuis 2022, pourrait être due à un « rattrapage du retard des diagnostics » et à l’écart avec les autres pays européens dans l’utilisation de ces traitements.
L’Assurance-maladie a proposé une « conférence de consensus » pour harmoniser les analyses et les réponses à ce phénomène.
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Source : Le Monde